Publié par meznik le
L’appel a résonné. La roche tremble, le roc s’ébranle et les vents portent avec impétuosité les sédiments venus des profondeurs. Assis dans mon canapé, je quitte une nouvelle fois mon confort pour la rudesse des galeries et le tranchant de la pierre. Rien de bon ne m’attend dans les entrailles sombres de la Terre, je le sais bien ; pourtant, l’envie d’y ramper est nécessaire. Je dois souffrir pour me sentir en vie, aimer les ténèbres pour glorifier la lumière, car c’est là que reposent les souvenirs de ma bien aimée.
Marcher, marcher, marcher pour y arriver. Le chemin rassurant qui conduit à leur repaire contraste avec les frissons que je serai dans l’incapacité de repousser une fois dedans. Pour le moment c’est de la chaleur et de la clarté, mais je sais que dans quelques heures le noir se refermera sur moi aussi sûrement que le cœur bat quand il est en présence de l’être aimé.
Je m’y rends plusieurs fois dans l’année. Chaque expédition m’anéantit à petit feu ; un feu qui éclaire leur visage de plus en plus nettes sur les arrêtes de la roche. Leur nombre augmente à chaque fois que je retourne dans les tréfonds de la terre. Seront-t-il là à m’attendre quand les boyaux de la galerie m’ouvriront la voie du fond ?
Pour l’instant, je savoure avec amertume la route de verdure qui me guide vers ceux qui m’ont enlevé Héléna.
À l’image des saisons qui passent, la route que j’emprunte trépasse. N’importe qui verrait les abords du sentier comme une simple déforestation. Mais je ne suis pas dupe, je sais que la torture infligée au bois est maléfique. Cette vie qui s‘effondre résulte de leur mécontentement destructeur et leur impatience de me piéger à jamais.
Je souffre de passer à coté de cette vie brisée. Quelle tristesse quand j’entends la sciure de cette sylve qui se lamente en me jetant l’anathème, alors que je pleure comme elle sa déchéance et son agonie. Leurs murmures gonflent ma culpabilité et me blâment de ne pas rester sous terre avec elle. Le bois agonisant de la surface est de mèche avec les monstres de la grotte, il m’intime de rejoindre Héléna dans les abysses afin que je m’y perde moi aussi. Mais je ne suis pas encore prêt.
Ce spectacle m’oblige à une inconvenante célérité vers l’endroit que je désire et crains. L’entrée de la grotte n’est plus très loin, je sens la puanteur caverneuse s’en échapper.
L’odeur est plus prégnante que d’habitude. Cette fois-ci se mêle aux relents de pourriture un parfum sucré étrangement familier. Mes sens se troublent comme l’eau stagnante sur mon passage. Une pulsion malsaine me pousse à descendre là où les rayons du soleil n’apposent plus leurs caresses rassurantes. De toute façon le soleil devenait blafard, je ne suis pas sûr de vouloir remonter en surface, la lumière du souterrain me paraît plus douce désormais.
C’est différent aujourd’hui. Les particules de l’air vicié me dessinent une silhouette d’amour déconstruite, légère et familière, comme pour balayer mes doutes et les lénifier. C’est différent aujourd’hui. Les fragrances d’épices qui s’échappent en contrebas me rappellent mes jeunes années pleines de béatitude. Les années où elle était à mes côtés. Les monstres que je croise ne m’effraient plus. Ils sont tout autour de moi mais je n’ai plus peur d’eux. C’est différent aujourd’hui.
Tout est beau. Comment n’avais-je pu voir avant la beauté cristalline de ces ténèbres qui ne veulent que mon bien ?
“Rejoins-moi mon amour”.
Je courrais si je le pouvais, mais les aspérités tranchantes et le manque de luminosité me compliquent la tâche. Je fais au plus vite mon amour. Est-ce toi qui illumine la caverne de mille étoiles scintillantes et de perles de pluie, similaires aux bijoux que je t’offrais pour enluminer ta peau nacrée ?
Je t’entends mon amour, j’arrive. Puisse mes muscles m’autoriser à nager pour te retrouver. Je t’aime, je t’ai toujours aimée…
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