Publié par harkia le
Fanal l'hantée
Nous sommes en octobre et je dois y retourner. Cette fois-ci sera-t-elle la dernière ? ou bien continuerai-je à y errer inlassablement en quête de son apparition de plus en plus éphémère ?
Comme d’habitude, l’unique chemin qui permet d’accéder à la maudite forêt de Fanal passe par la montagne. Chaque année, le spectacle qu’elle m’offre en guise d’avertissement me glace d’effroi. Les arbres brûlés imitent la froide envie qui hante mon esprit : il me semble que les arbres veulent se déraciner pour en finir car les troncs calcinés m’offrent l’image de la mort volontaire.
Le paysage de Fanal devient plus brumeux et opaque au fur et à mesure de mes pérégrinations insensées, comme pour me cacher celle que j’ai laissée mourir ici ; pour me la dérober, pour que ma culpabilité devienne quant à elle bien visible. Je comprends le message de la brume. J’accepte de me plier à sa volonté, même si cela doit me forcer à mettre en lumière mes remords et me condamner à l’obscurité. Je consens à cette souffrance, puisse-t-elle seulement me permettre de voir Catherina une dernière fois.
La plaine et ses arbres quant à eux, n’ont rien de nouveaux si ce n’est le passage du temps et la pourriture des sous-bois. Mais pour moi, c’est de pire en pire, je me répugne toujours plus quand surviennent les réminiscences de mon ancienne fuite, l’abandonnant honteusement dans la sphaigne humide et crasseuse que son sang avait rendue cramoisie. Je me gonfle des souvenirs gâtés qui prennent corps en moi pour y planter une forêt stérile où nul honneur et amour propre ne pourront jamais plus pousser.
J’accepte le message de la brume.
Je sens que Fanal commence à rejeter ma présence de manière plus précise. Je peine à distinguer ce qu’il reste de ma bien aimée disparue. Il y avait encore quelques années de ça, je pouvais à coup sûr l’apercevoir sous l’arbre où elle agonisa lors de ce jour funeste. À cette époque elle m’aimait encore, je le sais. La forêt et sa brume ne l’avaient pas encore montée contre moi. Désormais, ma Catherina est de son côté et bientôt elle ne dédaignera plus venir jusqu’à moi pour se souvenir.
Je suis arrivé sous l’arbre. Elle n’est pas là.
Je ne peux me résilier à partir sans la voir une dernière fois. Je crois que j’en mourrais de chagrin, même si dans tous les cas ce dernier me consumera d’une manière ou d’une autre à mesure que s’effilochera le temps. Maintenant que je suis en plein cœur de ce lieu abject, je refuse que la forêt décide à ma place ! je refuse qu’elle se proclame le tribunal jugeant mon comportement faible de jadis. C’est moi que ma Catherina aimait, pas la forêt ! J’exige qu’elle me la rende l’espace d’un instant. Je troquerais volontiers l’éternité contre quelques secondes avec elle. Une dernière fois.
Mais Catherina et la forêt ne me désirent plus. La haine du bois transpire de volutes noires et brumeuses devant mes yeux tristes de colère. J’y vois de moins en moins tandis qu’apparaît clairement le rejet dont je fais l’objet.
Comme un dernier acte de mansuétude qui servirait à me faire comprendre de ne plus jamais revenir, elle m’ait apparu. Je n’ai plus la force de poursuivre mes recherches éthérées et ce que je vois devant moi me confirme que cette fois-ci sera la dernière. J’accepte le message de Catherina, car si elle-même me tourne le dos je ne vois plus l’intérêt d’avancer dans une quelconque direction.
J’accepte ton message Catherina. Je ne sais pas s’il provient de la forêt ou bien de toi, mais je l’accepte.
Adieu mon amour.
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